Dans son projet de loi de programmation des Finances publiques pour les années 2018 à 2022, le gouvernement souhaite limiter les dépenses de fonctionnement et encadrer la dette des administrations publiques locales.
Qu’en pensez-vous ?
Frédéric Zannini : Cette mesure est inutile, car il existe déjà une « règle d’or » prévue par l’article L.1612-4 du Code général des collectivités territoriales. Elle consiste à garantir le paiement de l’annuité en capital de la dette par des ressources propres, notamment par des économies sur la section de fonctionnement. On appelle cela l’autofinancement. Ces dernières années, malgré une baisse des dotations de l’État, les élus locaux, sensibles à ces mécanismes d’équilibre budgétaire, ont déjà réalisé d’importants efforts de gestion pour maintenir une haute qualité de services publics et conserver une épargne nécessaire au développement patrimonial.
Cette mesure est également paradoxale, car les budgets locaux sont équilibrés, c’est-à-dire que les dépenses sont entièrement financées par des recettes existantes et a fortiori sincères. La dette des collectivités territoriales représente seulement 9% de la dette totale française alors qu’elle finance 72 % de l’investissement français. A contrario, la dette de l’État sert à couvrir des dépenses courantes de fonctionnement pour un montant qui représente quasiment la totalité du produit intérieur brut (PIB).
Quels seraient alors les défauts de cette limitation des dépenses que de nombreux acteurs appellent de leurs vœux ?
Frédéric Zannini : Le gouvernement souhaite contractualiser avec les 319 plus grandes collectivités territoriales dans un objectif de maîtrise de leurs dépenses à hauteur de 1,2% d’augmentation annuelle. L’idée est de donner plus de recettes à ceux qui dépensent le moins et moins à ceux qui dépensent le plus. Il faut pourtant garder à l’esprit que la dépense est utile à l’économie par son effet distributif et structurant. Si la dépense baisse, il y a des répercussions sur l’économie, car cela génère des effets de dumping. Par ailleurs, je ne pense pas qu’il faille mesurer et gérer les services publics sur la base de ratios comptables.
La suppression de 12 milliards d’euros effectuée entre 2014 et 2017 et de 13 milliards d’euros à venir d’ici 2022 représente un manque à gagner réel de 25 milliards d’euros pour les secteurs économiques locaux, car la dépense publique locale agit sur le local, qu’il s’agisse des marchés publics, des aides aux développement ou de l’emploi.
Les mesures du projet de loi de Finances semblent aller vers une logique de réduction de l’intervention publique au profit de celle du secteur privé. La création du prélèvement forfaitaire unique dit flat tax et la modification de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) qui vont redistribuer des milliards d’euros chaque année à quelques centaines de foyers fiscaux sont des exemples marquants. La théorie du ruissellement évoquée pour les justifier me laisse perplexe. Espérons qu’elle contribue à la redistribution de ces milliards d’euros dans l’économie locale au service de l’intérêt général, comme c’était le cas avec les dépenses des collectivités territoriales.
Par ailleurs, cette limitation de 1,2% des dépenses pose de nombreuses questions plus techniques : doit-elle intégrer les décisions modificatives et la reprise des résultats comptables ? L’inflation est-elle prise en compte et comment, sachant qu’elle n’est pas la même sur tout le territoire ? Doit-on également déduire les dépenses obligatoires qui relèvent des décisions de l’État et dont les collectivités ne maîtrisent pas l’évolution ?
Quelles autres solutions pourrait-on alors mettre en œuvre ?
Frédéric Zannini : Je suis personnellement favorable à la spécialisation de la fiscalité et à la réduction des fraudes, niches et inégalités fiscales.
Le projet de loi de Finances prévoit le remplacement de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des régions par une fraction de la TVA. C’est une bonne idée sachant qu’il s’agit d’un impôt économique et que les régions sont chargées du développement économique. Ainsi, en cas de retour à un dynamisme des recettes, notamment économiques grâce aux politiques publiques menées, les dépenses afférentes pourraient être réinjectées dans l’économie et le développement patrimonial, créant ainsi des cercles vertueux. Je crains par contre qu’avec la limitation des dépenses, cette réinjection ne s’opère plus dans les dispositifs d’aide au développement ou dans l’achat public et qu’ainsi les cercles deviennent vicieux.
Je ne pense pas qu’il faille s’enfermer dans un paradigme unilatéral et global quel qu’il soit. L’esprit et le principe constitutionnel de la décentralisation reposent sur une question de confiance entre des élus et un territoire et ce principe doit être renforcé. On pourrait réfléchir à la mise en place de moyens pragmatiques de contrôle démocratique des dépenses et de leurs réels impacts au bénéfice de l’intérêt général.