De nombreux observateurs expliquent la dégradation des finances publiques locales par un effet de ciseaux, c’est-à-dire une différence de courbe entre les dépenses et les recettes, les premières augmentant plus vite que les dernières. Pour tenter d’améliorer cette conjoncture difficile, ils incitent à faire des économies, autrement dit à réduire les dépenses. D’autres pensent au contraire que cela peut avoir des incidences négatives sur la qualité des services publics et que cela peut créer un cercle vicieux avec un effet boule de neige.
En quoi la dépense publique locale pourrait-elle avoir des effets positifs ?
Frédéric Zannini : La dépense est utile pour maintenir la qualité des services publics locaux. Ces activités d’intérêt général émanent d’une volonté collective et citoyenne héritée d’une longue tradition rousseauiste française. Elles structurent notre vie quotidienne, garantissent notre dignité et construisent l’avenir.
Sans être exhaustif, les communes regroupées dans des structures intercommunales assurent des services de proximité essentiels tels que la distribution d’eau potable, le ramassage des ordures ménagères, l’entretien des écoles élémentaires, la police administrative, l’urbanisme, le sport ou encore la culture.
Les départements mettent en œuvre le principe constitutionnel de solidarité et de cohésion nationale. Ils assurent des services dont chacun pourrait avoir potentiellement besoin pour soi ou pour ses proches au cours de sa vie tels que l’aide aux personnes handicapées, aux personnes âgées ou aux personnes privées de ressources, l’adoption et la protection de l’enfance et la protection contre les incendies, les accidents et les catastrophes naturelles.
Les régions sont quant à elles orientées vers l’avenir et l’innovation. Elles sont notamment chargées du développement économique des entreprises, de l’aménagement durable du territoire et de la formation professionnelle. Depuis peu, elles agissent également en tant qu’autorité de gestion chargée des fonds structurels européens avec pour objectif de favoriser une croissance intelligente, durable et inclusive dans le cadre de la Stratégie Europe 2020, pour faire face à la crise et aux grands défis de l’Union européenne.
Ainsi, une trop forte réduction de la dépense publique consisterait à réduire des services d’intérêts généraux de proximité, de solidarité ou de développement assurés par les collectivités territoriales au profit d’intérêts particuliers. Je ne suis pas sûr que cela soit une stratégie nationale fraternelle.
Pourtant la France ne doit-elle pas s’inscrire dans le programme de stabilité budgétaire européen et procéder à la réduction de son déficit public ?
Frédéric Zannini : Oui c’est vrai, mais les collectivités ne sont pas réellement concernées par ce déficit, car leurs budgets sont équilibrés et leur besoin de financement, autrement dit leur dette, finance uniquement des investissements. De surcroît, cette dette ne représente que 9% de la dette publique française et il y a une règle « d’or » vertueuse qui est inscrite dans le Code général des collectivités territoriales pour éviter d’emprunter pour rembourser d’autres emprunts.
Je suis donc plutôt favorable à redonner structurellement du dynamisme aux recettes par un principe de spécialisation. Cela pourrait donner de réelles marges de manœuvre aux élus locaux pour maintenir un certain niveau de dépenses en cohérence avec leurs politiques publiques. Il y aurait ainsi une plus grande lisibilité et sûrement une meilleure adaptation aux différentes conjonctures économiques et sociales. Mais à législation constante, je pense qu’il ne faut pas trop réduire la dépense qui représente environ 233 milliards d’euros redistribués chaque année, car cela n’améliorerait pas forcement le pacte de stabilité et pourrait, au contraire, créer de la récession économique.
Avec la baisse des dotations de l’État, les collectivités devraient néanmoins faire des économies notamment sur les charges de personnel si elles veulent maintenir leurs investissements ?
Frédéric Zannini : Pour maintenir la qualité des services publics locaux, les élus ont déjà réalisé d’importants efforts de gestion, et je ne pense pas qu’il faille aller encore plus loin sans obérer l’avenir. Au contraire, je préfère noter les aspects positifs de la dépense publique locale, qui ne représente finalement que 20% de la dépense publique totale, sur l’économie et la société. Si on étudie l’effet des quatre grandes catégories comptables des dépenses de fonctionnement, on peut relever les aspects suivants.
Premièrement, les charges de personnels représentent environ 2 millions d’emplois pérennes dans un pays ou règne le CDD. La réduction de ces charges n’entraînerait-elle pas mathématiquement une augmentation des chiffres du chômage et en corollaire une augmentation de ses besoins de financement ?
Deuxièmement, les charges générales, les achats et prestations de services, représentent exclusivement de la commande publique effectuée auprès d’opérateurs économiques pour des dizaines de milliards d’euros par an. Faudrait-il aussi baisser ces commandes, sachant que les recettes de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises sont basées sur les chiffres d’affaires des entreprises ?
Troisièmement, les participations et les subventions aident celles et ceux, entreprises et particuliers, qui sont en difficulté à ne pas sombrer. Si tel était le cas, n’y aurait-il pas une dépense sociale plus importante ? D’autant que cet argent est bien souvent consommé intégralement, ce qui implique que l’État en récupère 20% grâce à la TVA.
Quatrièmement, les intérêts des emprunts n’ont jamais été aussi bas. L’argent n’est pas cher, alors ne faut-il pas en profiter pour investir et penser à l’avenir, notamment au profit d’une transition énergétique pour une croissance verte ?
Enfin, concernant les dépenses d’investissement (le patrimoine) des collectivités locales, elles représentent 72 % des travaux publics et des achats publics de matériel en France. Il s’agit d’un soutien fort aux secteurs de la construction et des technologies innovantes. Faudrait-il dégrader notre patrimoine et réduire les carnets de commande des entreprises ou au contraire bâtir, innover et soutenir l’économie ?
À mon avis, les dépenses et, a fortiori les dépenses culturelles et d’investissements, qui sont les premières variables d’ajustement en période d’économies, devraient au contraire être renforcées, car elles sont deux éléments indispensables à notre développement. Il ne s’agit pas ici de défendre la théorie keynésienne du coefficient multiplicateur de la dépense publique, car l’opposé pourrait être facilement démontré, mais plutôt de contextualiser le double aspect positif des dépenses effectuées par les élus locaux pour mener à bien les politiques publiques qu’on leur a confiées au nom de l’intérêt général.