Des masques, oui mais lesquels ?

La ministre déléguée chargée de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher a indiqué récemment avoir retenu cinq projets de production de matériaux filtrants servant à la fabrication des masques chirurgicaux et FFP2 sur le territoire national et a invité les acheteurs publics français à faire en sorte de privilégier la commande publique européenne. Est-ce une bonne idée ?

Frédéric Zannini : Oui, c’est même une très bonne idée qui relève de la mise en application de la directive européenne sur les marchés publics pour la mise en œuvre de la stratégie européenne pour une croissance intelligente, durable et inclusive.

Lorsqu’un acheteur public décide d’acheter en grandes quantités des masques au prix de 2 centimes l’unité en provenance de l’autre bout du monde au lieu de quantités plus modestes au prix de 40 centimes avec une fabrication plus locale, cela se traduit par d’inexorables impacts sur l’économie, l’environnement et les personnes.

En effet, les politiques et les stratégies d’achat affectent l’économie et les finances publiques et privées, qu’il s’agisse de croissance, d’emploi, d’actifs immobilisés ou circulants, de résultats comptables, de trésorerie et de fiscalité (TVA, IS et CVAE). Les décisions prises impactent également les personnes via les conditions de production, la sécurité d’approvisionnement ou encore les qualités d’usage et de réponses aux besoins des utilisateurs. Enfin, elles agissent sur l’environnement notamment en matière de bilan carbone et de durabilité.

Ainsi, si l’on prend en compte les effets systémiques de la commande publique, il s’avère primordial d’appréhender l’efficience globale des achats publics si l’on veut atteindre le paradigme et les objectifs stratégiques européens.

Comment les acheteurs peuvent-ils faire concrètement, car la différence de prix est quand même importante ?

Frédéric Zannini : Tout d’abord, conformément aux obligations légales[1], la nature et l’étendue du besoin doivent prendre en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. Les dispositions réglementaires[2] imposent quant à elles, une prise en compte de l’accessibilité des personnes handicapées ou des critères de fonctionnalité pour tous les utilisateurs dans la formulation des spécifications techniques. Les acheteurs doivent ainsi dépasser la simple norme et définir des exigences fonctionnelles. Je pense notamment, dans le cas d’espèce, au confort, à la prévention des allergies et des irritations, à la réutilisation, ou encore à la transparence qui permet de voir l’expression du visage pour les personnes handicapées ou les enseignants et plus globalement encore pour toutes les questions relatives à la sécurité. Les enjeux sont nombreux.

S’agissant des critères, les caractéristiques fonctionnelles, les conditions de production et de commercialisation, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l’environnement, les conditions de livraison et la sécurité des approvisionnements, peuvent être mis en œuvre en complément du prix ou du coût pour le choix des offres les plus avantageuses.

Enfin, il peut être utile de rappeler qu’il existe, entre autres, un dispositif[3] expérimental qui permet de réaliser des achats très facilement jusqu’à cent mille euros hors taxes auprès d’entreprises innovantes ; idéalement locales, respectueuses socialement et environnementalement et de surcroît, créatrices d’emplois et de richesses nationales.


[1] Article L2111-1 du CCP

[2] Article R2111-6 du CCP

[3] Décret 2018-1225 du 24 décembre 2018 portants diverses mesures relatives aux contrats de la commande public