Les services publics constituent le patrimoine national, la structure unificatrice de la République. Ils ne pourraient exister sans financement, sans le principe du consentement à l’impôt, c’est-à-dire de l’acquittement personnel d’un prélèvement financier obligatoire, sans contrepartie directe, au bénéfice de la collectivité. Grâce à ce principe séculaire, la société n’est pas soumise à la loi des plus forts et au contraire, garantit la liberté, l’égalité et la fraternité.
Existe-t-il alors un hic dans les finances publiques ?
Frédéric Zannini : Ce principe de fiscalité a toutefois une limite en ce qui concerne la capacité contributive de chacun. Ainsi, les prélèvements fiscaux ne suffisent pas à couvrir les dépenses de l’État et cela se traduit par un déficit.
Il reste alors deux instruments budgétaires pour agir : la dette et la dépense.
La dette est en principe doublement utile car d’une part, c’est elle qui crée l’argent et d’autre part, elle permet le financement d’investissements productifs ou structurants. Mais la dette française s’élève à plus de 2 000 milliards d’euros, soit quasiment la totalité du produit intérieur brut (PIB) et elle sert à couvrir un déficit budgétaire principalement composé de dépenses courantes. Ce déficit structurel couvert par une dette représentant la totalité de notre capacité productive obère ainsi les prochaines générations, sans pour autant créer des richesses futures.
Concernant la dépense, la logique d’une grande majorité consiste à vouloir la réduire impérativement. Pourtant, elle est utile à l’économie par son effet distributif et structurant, notamment lorsqu’elle a des effets sur la santé ou encore sur le développement économique. Si la dépense baisse mécaniquement, cela entraîne des répercussions immédiates sur l’économie. L’exemple de la baisse, en quelques années, de plusieurs milliards consacrés à l’achat public représente un manque à gagner certains pour les entreprises, sans pour autant que cela ait eu la moindre conséquence sur le déficit. La réduction pour la réduction sans réelle stratégie entraîne inexorablement un appauvrissement global, des effets de dumping.
C’est un conflit entre intérêt individuel et intérêt collectif ?
Frédéric Zannini : Nous assistons peut-être en matière de finances publiques au phénomène de « tragédie des biens communs », théorisé par Garett Hardin en 1968. Cette théorie affirme que lorsque les ressources sont limitées, les actions rationnelles de chaque individu à court terme se traduisent en réalité par des actions irrationnelles à long terme pour le collectif. Le conflit entre l’intérêt individuel et le bien commun aboutit finalement à une défaite pour les deux.
On peut en effet chercher à savoir si les élus agissent pour l’intérêt général à long terme ou s’ils dépensent à court terme pour être réélus. Les résultats de leurs promesses ne semblent pas être au rendez-vous. L’efficience de leurs politiques publiques ne semble pas être suffisamment évaluée au regard des besoins réels des citoyens. On peut également s’interroger sur les organisations, les processus, le management et les contrôles mis en place par rapport à leurs stratégies et politiques publiques. L’exemple des regroupements des villes en intercommunalités ou la refonte de la carte régionale dont le but est de faire des économies d’échelle par la mutualisation produit-il les résultats escomptés ou au contraire se traduit-il par une logique de conservation des chapelles et une multiplication des dépenses ?
On peut également se demander si les citoyens n’agissent pas plus en fonction de leurs intérêts personnels que de l’intérêt général. Ils exigent beaucoup et toujours plus en matière de services publics, donc de dépenses sans pour autant vouloir apporter des recettes supplémentaires. Vouloir tout sans laisser aux autres.
Ceci n’est toutefois pas une fatalité, car Elinor Ostrom, qui fut la première femme prix Nobel d’économie en 2009, a notamment démontré que des collectivités pouvaient gérer de manière économiquement optimale des biens communs, sans conduire à leur effondrement grâce à la création « d’arrangements institutionnels » basés sur des relations de confiance entre utilisateurs.